Accents graves
Je rejoins les papys du village en pleine conversation. De prime abord, je ne sais jamais définir s'ils parlent français ou patois. Je tends l'oreille, si je ne rencontre aucun mot connu, alors, c'est du patois. Si mon oreille accroche un mot, c'est du français. Alors un autre mot s'accroche, puis un autre comme les mailles d'un tricot et bientôt, je comprends presque tout. Le débit est rapide et les mots semblent disparaître derrière le roulement des R.
- Y'en a qui disent que le grras de canarrd, ce n'est pas mauvais pour la santé...
- Non, ça ne fait pas mal, le grras du canarrd !
Le grras du veau qui fige sur le coin de l'assiette, ça, je ne dis pas.
Mais le grras du canarrd, non... ça ne fait pas mal.
Un jour, le maire de mon village se demandait comment faire pousser des champignons dans sa cave. Comme ma grand-mère l'a fait il y a longtemps, j'ai imaginé une conversation téléphonique entre eux. Je ne sais pas s'ils se comprendraient, mais quelle saveur aurait cette conversation ! Quelle consistance la langue retrouverait ! (Ca me fait penser à un plateau de fromages fermiers comparé à une "spécialité fromagère allégée)
Tiens, je me lâche sur la question des accents. L'accent officiel tue les autres, pas seulement en France. J'écoute quelquefois les journaux francophones la nuit sur France Infos (ça me rendort). Il est impossible de deviner à son accent si le journaliste est belge, marocain, suisse ou sénégalais. Alors ça, ça m'espante, comme on dit ici. Seuls les Canadiens conservent une trace d'accent. Et ils prononcent parfaitement les noms anglais, c'est surtout à ça qu'on peut les reconnaître (!)
Avec un accent du sud, il est manifestement impossible de présenter autre chose que la météo, le sport ou la cuisine, même sur France 3 ou Sud Radio. Avec l'accent franc-comtois non plus, d'ailleurs.
Une personne du sud qui débarque au nord se sent mal à l'aise parce qu'on lui fait remarquer son accent. Elle ne se sent pas prise au sérieux, on lui trouve un air de vacances, on n'écoute pas ce qu'elle dit et son accent fait rire. Elle le prend mal, personne n'aime faire rire sans le vouloir.
Ceci dit, la même personne vous dira qu'elle adore l'accent belge parce que ça la fait rire. L'âme humaine est pleine de paradoxes...
Mon accent fait rire (mais quel accent ?) quand je veux répéter des mots locaux et que fatalement, je les prononce mal. Mais je trouve ça sympa et tant pis pour ma collection de mots. Mais personne ne rit de mon accent pointu. On l'a déjà qualifié de parisien, mais c'était sans offense. Pointu ou parisien, c'est pareil, suffit de le savoir (comme marseillais ou gersois pour une oreille du nord).
Une imitation d'accent n'a aucun succès. Dans le film "Le bonheur est dans le pré", les efforts des acteurs pour transformer leur accent pointu sont vains. Même moi, j'entends bien que ce n'est pas l'accent gersois. Et pour un Gersois, je crois bien que ça passe pour un accent pointu.
Je m'étonne de ne pas sentir plus de rebellion contre l'intolérance de l'accent officiel. Mais bon, moi-même, plus jeune, j'ai travaillé à aplanir (renier) le mien. J'essaie maintenant de l'adoucir par rapport à celui d'ici. Heureusement, le ridicule ne tue pas ! Autant l'accent d'origine revient tout seul quand on le partage avec ses interlocuteurs, autant il se dissout en partie quand on a affaire à un accent très différent.
Ce sont vraiment des broutilles que ces infimes nuances d'intonation et pourtant, c'est incroyable ce qu'elles traduisent comme culture et relations humaines.